Cher Miky,
Dans ton commentaire (n°7 - sur le fond) à mon précédent article – qui s’efforçait de démontrer l'existence de Dieu à partir de ton excellent exemple de l’album de Kraftwerk découvert en pleine Amazonie –, tu contestes ma conclusion selon laquelle, pour être ce qu’il est comme il est, l’Univers a nécessairement été créé par Quelqu’un. Le motif que tu invoques est le suivant : cette conclusion ne serait pas plus crédible que les hypothèses alternatives proposées, en particulier celle du hasard.
« Tu écartes avec raison une création de l'univers par le hasard (au sens scientifique du terme) ou par lui-même. Mais il m'étonne que tu n'ais pas remarqué que les mêmes raisons que tu évoques contre l'hypothèse du hasard valent contre l'hypothèse d'un "quelqu'un". Car en effet, en reprenant presque mot pour mot ce que tu as écris :
« Pour qu'une personne puisse se déployer, il faut déjà que l’Univers existe. S’il n’existe pas, aucune personne ne peut trouver à exercer son action. Or, notre Univers n’a pas toujours existé. Il a eu un commencement : le Big Bang. C’est à partir du Big Bang que la matière existante à ce jour s’est progressivement constituée. Elle s’est peut-être ensuite trouvée arrangée par l'action d'êtres personnels comme les hommes pour donner l’univers tel que nous le connaissons aujourd’hui, en sa forme actuelle qui compte la civilisation. Mais au départ, il n’y avait pas de matière. Comment peut-on dire alors que l’Univers s’est constitué par l'action d'un créateur personnel ? Dans les théories socio-psychologiques, nous pouvons parler de causes personnelles, intentionnelles, parce que nous avons de la matière qui a donné des êtres humains par exemple, et des lois de la matière, dont ou ainsi que des lois psychobiologiques. Mais à l’époque du Big Bang, il n’y avait rien de tout cela. Aucune matière, donc aucun être personnel, aucune loi physique, et encore moins psychobiologique. Pas de temps, pas d’espace. Comment parler de personnes et de causes personnelles et intentionnelles dans ces conditions ?
« Bref, tu notes que l'existence de la matière est nécessaire à l'existence du hasard, mais tu oublies que notre expérience commune nous enseigne que l'existence de la matière est également nécessaire (même si peut-être pas suffisante) à l'existence d'êtres personnels.
« Maintenant, tu peux fort bien vouloir soutenir, contre l'expérience commune, que des personnes sans corps peuvent exister ; mais cela ne vaudra alors pas mieux qu'un hasard sans matière... »
Eh bien… si, Miky ! Tu vas voir que c’est la raison elle-même qui nous conduit irrésistiblement à cette conclusion, à partir de notre expérience commune, au terme d’un cheminement par étape.
S’il y a de l’être, avons-nous dit, c’est que de l’être existe éternellement. Car s’il y avait eu un temps où l’être n’existait pas, alors rien ne serait de toute éternité puisque du néant absolu ne peut rien sortir. Pour que l’être soit, il faut donc qu’il procède d’un Être qui, lui, est nécessairement éternel ; qui ne doit son existence à personne, et qui est tout simplement parce qu’il est l’Être, et qu’en tant qu’Être, il ne peut pas ne pas être.
Notre univers peut-il lui-même être assimilé à cet Être éternel duquel procède toute la réalité matérielle que nous observons au microscope et au télescope ? Rien ne nous permet de l’affirmer. Ce que les sciences positives nous enseignent aujourd’hui de l'Univers (et ce fut la grande révolution cosmologique du XXe siècle !), c’est qu’il n’est pas éternel : qu’il a eu un commencement, et qu’il aura une fin. La conclusion s’impose donc à notre raison : l’être de l’univers n’est pas l’Être éternel nécessairement existant. Rien dans l’expérience objective ne permet en tous les cas d’inférer l’éternité de la matière, tout au contraire...
Puisque l’être de l’univers existe ; sachant qu’il n’est pas l’Être éternel nécessairement existant et qu’il ne peut pas provenir du néant (sans quoi il ne pourrait exister) ; il faut admettre qu’il reçoit nécessairement son être de l’Être nécessairement existant, l’Être par essence, l’Être éternel qu’il n’est pas lui-même, mais duquel il procède nécessairement pour être.
Nous avons donc franchi une première étape importante, et je suis heureux que nous l’ayons franchi tous deux : l’Être éternel existe, et il ne se confond pas avec l’être de l’Univers. Il y donc deux êtres identifiables par notre raison (quand bien même nous ne pouvons pas le vérifier expérimentalement) : l’Être absolu, qui ne dépend de rien ni de personne pour exister, et l’être contingent de l’univers, qui dépend ontologiquement de l’Être absolu sans lequel il ne pourrait exister.
Qu’est-ce qui me dit maintenant que l’Être éternel est une personne, et non pas un principe abstrait ou une énergie impersonnelle ? Tu as raison en un sens de dire que notre expérience commune ne nous enseigne pas immédiatement l’existence de « personnes sans corps ». Mais que nous enseigne-t-elle par ailleurs ? Que le hasard n’est pas créateur ; qu’il est impuissant par lui-même à susciter la moindre structure ordonnée de manière stable, permanente et croissante. J’observe par exemple que ma chambre ne se range pas – malheureusement… – toute seule ; qu’elle n’est ordonnée durablement que dans la mesure où je la range intelligemment : les livres sur l’étagère, mes vêtements dans le placard, les tableaux sur les murs…
Si ma raison me conduit à croire dans une première étape à l’existence d’un Être éternel distinct de l’univers, l'ordre mathématique régnant dans l’univers et son évolution créatrice (pour reprendre l’expression d’Henri Bergson) sont pour moi le signe tangible et raisonnable que l’Être éternel duquel procède l’être de l’univers est doté de la personnalité. Car le hasard ne peut rendre compte à lui tout seul de l’ordre admirable régnant dans l’univers ; du hasard ne peut sortir que le chaos et le désordre ; c’est là le donné de l’expérience.
La conclusion s’impose donc : si l’on ne peut affirmer que le hasard est le Principe organisateur de l’Univers sans perdre la raison, celle-ci nous conduit à affirmer que le Principe organisateur de l’univers est nécessairement doté de l’intelligence et d’une puissance d’action hors du commun, c’est-à-dire d’une personnalité qui pense, qui veut et qui agit.
Dès lors, tu vois bien que si l’expérience courante que nous faisons du réel ne nous permet pas de penser a priori qu’il puisse exister de « personnes sans corps », elle nous donne cependant de solides raisons de croire a posteriori en l’existence d’un Être transcendant non corporel doté de la personnalité. Ce n’est pas plus vérifiable expérimentalement que l’existence d’un Être éternel distinct de l’être de l’univers, mais c’est tout aussi irrésistible quand on s’applique à raisonner correctement à partir du réel.
Je résume maintenant :
- S’il y a de l’être, c’est qu’il existe nécessairement l’Être éternel ; le néant n’est pas une alternative rationnelle à l’existence de l’Être éternel. L’Être éternel existe parce qu’il ne peut pas ne pas exister. S’il n’existait pas, alors aucun être ne pourrait exister, car le néant ne produit rien.
- S’il y a de l’ordre, c’est que cet être éternel est dotée de la personnalité ; le hasard n’est pas une alternative rationnelle à l’existence d’une transcendance personnelle. Le Transcendant personnel existe parce qu’il ne peut pas ne pas exister. S’il n’existait pas, aucun ordre, aucune structure intelligente ne pourrait exister, car le hasard ne produit aucun ordre. L’univers serait alors un grand chaos, un Tohu Bohu éternel ; il n’y aurait pas eu de Big Bang, et la « soupe de photons et de quarks » initiale serait demeurée à l’état de potage pour l’éternité…
Tu vois donc Miky que les deux propositions – le hasard sans matière, ou la personne sans corps – ne sont pas d’égales valeur sur un plan épistémologique, puisque la première hypothèse ne repose sur aucune donnée objective vérifiable expérimentalement et ne peut être admise qu’au prix d’une destruction de notre raison ; tandis que la seconde est inférée logiquement par notre raison à partir de l’expérience commune que nous faisons tous de la réalité concrète.