"Nous avons peine à nous représenter ce qui est sur terre,
et nous trouvons avec effort ce qui est à portée de la main ;
qui donc a découvert ce qui est dans les cieux ?"
(Sg 9. 16)
Le célèbre astrophysicien britannique, Stephen Hawking vient de commettre un nouvel ouvrage dont certains extraits ont été publiés jeudi dernier dans le Times.
L'univers a-t-il eu besoin d'un Créateur ? « Non », répond Stephen Hawking. « La main de Dieu n'était pas nécessaire pour créer l'univers, qui s'est en fait formé de lui-même, en toute logique des lois de la physique », explique-t-il.
« En raison de la loi de la gravité, l'univers peut se créer de lui-même, à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle quelque chose existe, pour laquelle l'univers existe, pour laquelle nous existons ».
Conclusion : « Il n'est pas nécessaire d'invoquer Dieu pour activer l'univers ».
Ces quelques passages, qui ont reçu un large écho médiatique, appellent de ma part quelques réflexions.
1. Le livre de Stephen Hawking, quoiqu’on en dise, et quelqu’éminent soit le célèbre astrophysicien dans son domaine de compétence propre, n’est pas un livre scientifique, mais un ouvrage de métaphysique. Pourquoi ? Parce que le sujet dont il traite (Dieu) n’est pas de ce monde. Il échappe donc aux prises de l’analyse rigoureusement scientifique.
Il n’entre pas dans le domaine des sciences de statuer sur l’existence ou non de Dieu – pas plus que sur celle du bonheur ou de l’amour. Un étudiant en astrophysique qui affirmerait qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, Dieu n’est pas nécessaire au monde, se verrait remettre sa copie barrée en rouge de la mention : « Hors sujet ». Aucune science expérimentale ne peut nous dire si l’univers est créé par Dieu ou incréé, ontologiquement insuffisant ou suffisant, si l’évolution cosmique et biologique se fait en vertu de ses ressources propres ou si elle est suscitée et dirigée par un autre qu’elle-même.
Stephen Hawking ne peut donc pas nous présenter sa théorie comme une théorie scientifique : on est ici dans la métaphysique, en plein.
2. Il n’est pas étonnant qu’un scientifique s’adonne à l’activité métaphysique – c’est même une excellente chose. Ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas. Cela tient sans doute à ce qu’ils sont les mieux placés pour réfléchir sur l’univers, eux qui en connaissent les mécanismes les plus subtils, les rouages les plus secrets. Qu’un scientifique laisse tomber un instant sa plume pour s’abîmer dans la contemplation de l’objet étudié, dans une profonde méditation de ses causes premières, voilà qui est signe de bonne santé intellectuelle et spirituelle ! Cela compense en tous les cas le fait regrettable que les philosophes modernes aient déserté le terrain de la métaphysique et ne s’intéressent guère plus à la science, n’en faisant plus la matière première de leur réflexion. « Cachez cet univers que je ne saurai voir »…
Que Stephen Hawking emploie ses connaissances scientifiques pour promouvoir des thèses métaphysiques, voilà qui me paraît intéressant et digne d’éloge. Que la métaphysique soit en quelque sorte réhabilitée par des scientifiques, voilà qui me paraît un heureux retournement de l’Histoire – qui a parfois ses ironies…
3. La thèse de l’auteur consiste à dire que « Dieu n’est pas une explication nécessaire au monde ». Le monde, selon lui, peut exister sans Dieu. La thèse de Hawking n’est donc pas à proprement parlé une thèse athée, puisqu’il n’affirme pas que Dieu n’existe pas. Il dit simplement que Dieu n’est pas nécessaire ; que le monde peut s’expliquer sans Dieu. Dieu pourrait donc ne pas exister. Mais… il pourrait tout aussi bien exister. Ainsi, ma voiture n’est pas nécessaire à l’accomplissement de mon trajet quotidien vers mon lieu de travail. Il n’empêche : elle existe… Il est donc abusif de conclure de l’ouvrage de Hawking – comme ont cru intelligent de titrer certains journalistes français – que « L’univers n’est pas une création divine » ou que « Dieu n’a finalement pas créé l’univers ». Car telle n’est pas la pensée de l’auteur (si l’on s’en tient en tous les cas aux extraits rapportés par les journalistes français).
4. Que Dieu ne soit pas nécessaire au monde, voilà qui nécessiterait une clarification sur ce que l’auteur entend par… Dieu.
Puisque l’on sort du champ de la science ; qu’il n’est pas de définition scientifique de Dieu ; il faut savoir de quoi l’on parle. J’imagine que notre auteur commence par cela. J’imagine aussi qu’il entend par « Dieu » le Dieu Créateur du monothéisme. Il serait intéressant, dans ce cas, de savoir pourquoi il s’efforce de réfuter ce Dieu là plutôt qu’un autre… et d’examiner si le monde peut se passer de tout dieu – nous allons y revenir… (cf. Point 7 ci-dessous).
5. Maintenant, la thèse métaphysique développée (telle que rapportée par les grands médias, et dont je ne connais pas le détail) est absurde et contradictoire.
Elle est absurde tout d’abord, parce qu’elle remet en cause l’un des rares points de consensus qui traverse l’histoire de toutes les grandes traditions métaphysiques, à savoir : que du néant absolu, c’est-à-dire de rien du tout, ne peut naître quoique ce soit.Que de rien ait pu jaillir spontanément quelque chose est impensable pour la raison humaine. On peut le dire si l’on veut (et Hawking l’écrit : « l'univers peut se créer de lui-même, à partir de rien » dans une « création spontanée ») ; mais on ne peut pas le penser. Non parce que nous manquons d’imagination, mais parce que le fait est impossible. De la négation de tout être ne peut surgir spontanément de l’être : le néant par définition est stérile : il ne peut rien, il ne crée rien (il en est incapable) : en toute rigueur, il n’existe pas.
La thèse métaphysique que Hawking oppose au Dieu créateur est donc absurde : c’est celle du Néant créateur. A l’origine de notre Univers, selon Hawking, il n’y a pas un Être créateur, mais un Néant créateur. Hawking a le droit d’y croire s’il veut – on notera alors que ce n’est pas une vérité scientifique : simplement une croyance fondée, non sur la raison, mais sur l’option arbitraire de l’auteur en faveur de cette théorie – ; mais il n’a pas le droit de prétendre qu’il s’agit là de l’option la plus rationnelle (voire d’une option rationnelle tout court). Car toute la pensée humaine depuis les origines se révolte (dans un bel unanimisme) contre l’absurdité de l’idée d’un néant créateur.
Plutôt que d’affirmer qu’à l’origine du monde il n’y a rien, il est plus rationnel de penser qu’à l’origine du monde il y a quelque chose. Car si rien ne peut donner que rien, quelque chose peut donner quelque chose. C’est le B.A-BA de la pensée humaine.
Il est intéressant de relever au passage que Hawking croit en la Création. Il ne nie pas la notion de Création ; il nie celle de Créateur. La thèse que propose Hawking est donc celle d’une Création sans Créateur. Une Création où l’objet créé est lui-même l’explication de son être. Car si la Création n’est pas le fait d’un Créateur, c'est qu'elle est le fait de l’objet créé lui-même : l’Univers s’est auto-créé, nous dit Hawking, « de lui-même, à partir de rien ». A la foi religieuse en un Dieu créateur, Hawking propose comme alternative le conte de fée de l’auto-création de l’Univers. Création spontanée que la science n’a jamais pu observer pour n’importe quel autre être composant cet univers, mais qui est une spécificité, semble-t-il, de l’univers en son entier.
Si l’on admet qu’il est rationnel de penser que du néant peut jaillir quelque chose, a fortiori notre univers avec la vie et l’intelligence qui l’habitent ; que l’univers peut s’auto-créer à partir de rien, et décider d’exister à un moment où il n’existait pas (sic) ; alors, oui, si l’on avale paisiblement toutes ces couleuvres et que l’on estime rester ainsi dans le champs de la rationalité, dans ce cas (et dans ce cas seulement), on peut dire doctement devant les caméras du monde entier et sous les flashs des journalistes que l’univers n’a pas besoin de Dieu.
6. Mais la thèse de Hawking n’est pas seulement absurde : elle est contradictoire. Parce qu’il affirme une chose et son contraire… dans la même phrase !
Comment l’univers a-t-il pu surgir du néant et s’auto-créer comme il l’a fait ? C’est bien simple, explique Hawking : il s’est « formé de lui-même, en toute logique des lois de la physique, (…) en raison de la loi de la gravité ».
L’univers s’est créé « de lui-même, à partir de rien »… grâce aux lois de la physique, à la loi de la gravité.
Ce qui n’est pas « rien ».
A l’origine de notre univers, il n’y a donc pas « rien » au sens de « néant absolu » : il y a les lois de la physique ; il y a la loi de la gravité. Ce sont ces lois qui expliquent tout : le Big Bang, l’évolution du cosmos vers des formes d’êtres de plus en plus complexes, le surgissement de la vie, l’apparition de l’homme et de son cerveau, sa pensée, sa capacité de croire et d’aimer.
7. Pour Hawking, seule existe la matière et ses lois. La matière est le seul être ; il n’en est pas d’autre. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir recours à un Créateur transcendant pour en expliquer l’existence.
C’est la matière qui est l’Être absolu, puisqu’elle ne dépend de rien ni de personne pour exister, et qu’elle n’a besoin de rien ni de personne pour être ce qu’elle est comme elle est. Ce sont ses lois internes qui la poussent à être et à devenir.
C’est la matière qui s’auto-créée et s’attribue à elle-même ce qu’elle n’avait pas au départ : la vie, l’intelligence et la pensée… C'est elle qui s’est attribuée tout cela « en toute logique des lois de la physique ».
La matière est donc créatrice en ce qu’elle est capable de faire sans cesse surgir du néant (ou disons : du « moins ») toutes choses nouvelles (ou disons du « plus » : des formes d’êtres de plus en plus complexes ; la vie, l’intelligence, la pensée). A moins de considérer qu’elle n’avait toutes ces choses au départ, de manière occulte, nul ne pouvant se donner à soi-même plus que ce qu’il a déjà.
L’Evangile de Hawking commence ainsi : « au commencement était la matière ; les lois de la physique ; la loi de la gravité. » L’univers n’a pas besoin de Dieu. Les lois de la physique, la loi de la gravité suffisent à en expliquer l’existence, l'histoire et l'évolution. L’univers s’est créé tout seul, comme un grand : « La création spontanée est la raison pour laquelle quelque chose existe, pour laquelle l'univers existe, pour laquelle nous existons ».
C’est attribuer à la matière un pouvoir immense (créateur), une capacité d’organisation inouïe (mathématique), une intelligence supérieure (capable de produire le cerveau humain, à côté duquel nos plus puissants ordinateurs ne sont que babioles…).
Nous voilà donc revenu avec Hawking des milliers d’années en arrière, à l’aube de l’Histoire de la pensée, à la doctrine des anciens Grecs : l’univers existe seul, incréé ; il produit seul la vie et la pensée ; il est le Créateur de tout ce qui naît en lui au cours du temps. Il est doté de tous les caractères que les théologiens attribuent à Dieu : la suffisance ontologique, l’éternité, la vie, la pensée, le génie créateur. L’univers est donc divin. C’est lui qui est Dieu.
Ce n’est certes pas ce qu’affirme explicitement Hawking, puisqu’il nous dit que l’Univers n’a pas besoin de Dieu. Mais c’est ce à quoi on est inéluctablement conduit quand on tire toutes les conséquences de l’affirmation selon laquelle il n’y a que la matière, que l’univers – c’est pourquoi je me demandais plus haut si Hawking traitait de la question de savoir si l’univers peut se passer de tout dieu (cf. Point 4 ci-dessus).
Considère-t-on que l’univers avait en lui dès l’origine et de manière occulte tout ce qui est apparu au fil de l’évolution cosmique ? On navigue alors en plein animisme cosmique : l’univers est un Dieu qui se réalise en advenant peu à peu ce qu’il est dès l’origine.
Considère-t-on au contraire que l’univers a progressivement créé de rien tout ce qui est apparu historiquement en son sein (la matière organisée, la matière vivante, la matière pensante…) : on dérive alors vers une mythologie encore plus absurde : la théogonie transposée en cosmogonie… : l’Univers est un Dieu qui s’auto-crée et qui s’invente au fil du temps, s’attribuant graduellement ce qu’il ne possédait pas en lui-même dès l’origine (la vie et la pensée).
On mesure l’ampleur de la régression de la pensée à laquelle nous conduit la thèse métaphysique de Stephen Hawking…
8. Cette thèse là était aussi celle du marxisme (dont on a pu apprécier la postérité dans l’Histoire…). Marx aussi voyait l’Univers comme résultant d’un processus d’auto-génération (« eine Selbsterzeugung »). Engels, qui tirait les conclusions cosmologiques et physiques des principes posés par Marx, admettait que sa théorie reprenait les thèses fondamentales des philosophes grecs antérieurs à Socrate (Anaximandre de Milet, Héraclite d’Ephèse…).
Marx et Engels attribuaient à l’univers ce que les mythologies théogoniques dans anciens Grecs attribuaient à leurs dieux. Rien cependant, dans l’expérience positive, ne permet de justifier une telle doctrine. Il faudrait pour cela commencer par démontrer l’éternité de l’univers, de la matière et du mouvement ; établir que les lois de la physique et la loi de la gravité préexistaient à la naissance de notre univers – et donc je suppose : prouver l’existence de cycles éternels et du « chaos » mythique des atomistes… Tout ce vers quoi l’astrophysique moderne ne nous oriente pas…
Si Stephen Hawking reprend à son compte la thèse de l’auto-création de l’univers, et de son auto-création en vertu de la logique interne aux lois de la physique et de la gravité, ce n’est donc pas sur la base de données scientifiques objectives, mais sur la base de ses préférences métaphysiques. Il commence par poser (consciemment ou pas) le postulat que la matière est le seul être existant, et que l’Univers n’a pas besoin de Dieu ; et il en déduit une cosmologie compatible avec ce postulat de départ (il affirme ainsi la préexistence des lois de la physique… à l’apparition de tout objet physique !) Mais l’on voit bien que la proposition selon laquelle l’Univers n’a pas besoin de Dieu ne se trouve pas au terme du raisonnement comme il tente de nous le faire accroire, mais bien à son début. Si elle se trouve au début du raisonnement (comme une prémisse illégitime puisqu’indémontrée, et par suite : arbitraire), il ne faut pas s’étonner de la trouver aussi à la fin, le raisonnement ne pouvant que s’en trouver altéré, et ses résultats faussés.
Nous avons vu que cette manière de raisonner était la pire des méthodes en métaphysique…
9. Il est assez étonnant qu’un homme de formation scientifique comme Hawking se satisfasse de réponses aussi parcellaires et insuffisantes que celles qu’il propose. L’univers, selon lui, n’a pas besoin de Dieu… parce que les lois de la physique et la loi de la gravité suffisent à l’expliquer. Mais qu’est-ce qui explique ces lois de la physique et de la gravité ? Que sont ces lois posées là, semble-t-il, de toute éternité ? D’où viennent-elles ? Qui les a écrites ? La question peut paraître provocatrice ; elle est pourtant légitime sur le plan rationnel, car toute Loi renvoie naturellement... à un Législateur.
Qu’est-ce qu’une loi physique commandant l’organisation de la matière avec une nécessité objective sinon l’expression d’une pensée organisatrice ? Hawking nous dit que « l'univers, s'est formé de lui-même, en toute logique des lois de la physique ». Fort bien. Mais quelle est donc cette « logique », ce Logos des lois de la physique, qui commande à tout le créé, l’informe et l’organise, fait surgir de la matière inerte la matière vivante, puis pensante – jusqu’à l’esprit logique des êtres humains ? Quelle est la nature de ce Logos qui préside à la Création de l’Univers et qui en conduit tout le développement, l’évolution ? Voilà la grande question qu’il convient de trancher pour résoudre le problème métaphysique posé par Hawking.
Stephen Hawking pose sans doute la bonne question (« l’Univers a-t-il besoin de Dieu pour exister ? ») mais il n’y répond pas complètement, n’allant pas au fond de son analyse et s’arrêtant au constat (scientifiquement contestable) que ce sont les Lois de la physique qui expliquent l’auto-création de l’univers. Mais pour aller jusqu’à la conclusion que l’Univers n’a pas besoin de Dieu, il faut encore franchir un pas supplémentaire et réfléchir sur la nature même de ces lois de la physique, de ce Logos immanent à la Nature qui explique tout. Ce Logos est-il seulement immanent à la Nature ? Ou bien est-il aussi transcendant – comme expression de l’Intelligence Créatrice de Dieu ? Affirmer que l’Univers n’a pas besoin de Dieu sans avoir traité cette importante question, c’est sans doute aller un peu vite en besogne et pécher par imprudence...
Pouvons-nous réellement soutenir qu’il y a 4 ou 5 milliards d’années, une nécessité naturelle imposait à la matière le développement historique que nous lui connaissons ? Et si oui : quels attributs ne sommes-nous pas conduits à prêter à cette matière comportant de telles « lois physiques » et une telle « nécessité » ?
On peut croire si l’on veut que le Législateur et la Loi ne font qu’UN ; affirmer qu’il n’y a que la Loi, et aucun Législateur ; que le Logos des lois de la physique est seulement immanent au monde et à la matière ; mais cela revient in fine à diviniser la Nature – c’est-à-dire : à lui conférer les attributs de la divinité, comme le faisaient les plus anciens penseurs grecs.
Pour dédiviniser la Nature, il faut séparer la Nature et Dieu, et rendre à chacun ce qui lui appartient en propre. Mais alors : cela conduit à affirmer l’existence d’un Dieu transcendant, distinct de ce monde.
En aucun cas, on le voit, on ne peut nier Dieu. Sauf à renoncer à la raison. Ou à renier l’univers (ce que certains philosophes ne se sont pas privés de faire…). L’athéisme n’existe donc pas comme une alternative rationnelle à l’existence de Dieu.
Que l’on mette Dieu dans l’Univers ou hors de l’Univers, on ne peut se passer de Lui pour expliquer l’univers.
Il est impossible de concevoir l’univers sans Dieu.