Cher Miky,
Nous avons vu dans mes trois précédents articles (1, 2 et 3) que pour réfuter la démonstration rationnelle de l'existence de Dieu, tu t’efforces dans un premier temps d’affirmer que les questions métaphysiques ne se posent pas, et qu’il est vain de chercher à expliquer ce qui est explicable sur le plan scientifique. Seul est digne d’intérêt selon toi, et seul pose question à notre raison humaine ce qui demeure scientifiquement inexpliqué ; seul mérite examen sérieux et étude approfondie ce qui constitue une énigme sur le plan scientifique, un défi aux connaissances du moment. Mais « ce qui est régulier, prévisible, normal, habituel, naturel, commun, ordinaire, etc. (…) n’a généralement pas besoin d’être expliqué ».
Exit donc la question de l’univers ! « Dans le cas des miracles et des expériences religieuses au moins, expliques-tu en effet (tu cites aussi le cas des OVNI), on peut assez facilement [s’interroger sur leur raison d’être]. Car (…) ces phénomènes se définissent par contraste (flagrant !) avec le cours naturel des événements. Ces derniers vont donc fournir le cadre de la normalité à partir duquel miracles et expériences religieuses pourront être définis dans leur anormalité. Mais en est-il de même concernant l’univers dans sa totalité et dans toutes ses parties ? De quels critères disposons-nous pour affirmer que normalement, l’univers devrait être tel ou tel et non pas comme il est ? Notre univers est le seul que nous connaissons. Qu’il ait bien les propriétés qu’il a n’est donc pas forcément étonnant, objectivement parlant. »
Nous avons vu dans notre précédent article que le questionnement métaphysique a précisément pour objet ce qui est normal, le monde réel qui nous entoure et dont nous faisons l’expérience ; la remise en question de ce que nous tenons habituellement pour acquis. C’est ce que rappelait également Ti'Hamo dans un commentaire récent : « les premières questions métaphysiques qui viennent à l'enfant sont "pourquoi j'existe?" et non pas "pourquoi cette soucoupe volante?", et dans l'histoire de l'humanité les premiers philosophes dont nous ayons trace se posaient des questions sur la vie, le monde, les gens, les actes et les pensées, qu'ils voyaient et expérimentaient au quotidien. (…) Le socle premier de la philosophie, de la réflexion, voire la seule vraie réflexion valable, c'est celle qui se pose des questions sur le monde qui nous entoure, le monde "normal" et quotidien, des fondements, sa nature. D'ailleurs se poser des questions au sujet d'apparitions de la Vierge ou de soucoupes volantes, ça n'est pas de la philosophie, ça n'est pas de la métaphysique à proprement parler, ce sont des enquêtes. (…) La philosophie, la réflexion première, prend appuie sur les réalités concrètes, expérimentables, atteignables par la raison, et se pose des questions à leur endroit. Les questions les plus fondamentales se posent sur l'humain, sur l'univers, sur le mouvement et la perennité, sur les planètes et sur la poussière. Pas sur les apparitions ni sur les soucoupes volantes. »
Mais maintenant, à supposer même que tu aies raison, Miky, à savoir qu’il n’est d’interrogation légitime que pour des phénomènes « bizarres » ou « étranges », qui heurtent notre sens commun et notre conception de la normalité, de l’ordre des choses, il reste à définir si oui ou non notre Univers peut être lui-même considéré comme allant de soi… L’enjeu est d’importance, car dire que l’Univers va de soi, qu’il est évident et qu’il n’y a pas lieu de s’en étonner, c’est considérer finalement que l’univers est l’Être en soi. La propriété essentielle de l’Être étant… d’être, l’univers ne peut pas ne pas être (puisque l’être ne peut pas ne pas être) ; de même, puisqu’il est l'Être dans sa totalité, le seul Être, s'interroger sur ces caractéristiques n'a pas beaucoup de sens : il est ce qu’il est devenu, voilà tout ; cela n’a rien d’étonnant, objectivement parlant. Il aurait certes pu évoluer différemment, mais voilà : il a évolué comme ça. C’est ainsi ! C'est le hasard ! Il faut simplement en prendre acte. Dans cette conception, l’univers existe par lui-même, et son existence ne pose pas de question métaphysique particulière, puisqu’il est ontologiquement suffisant ; ou dit autrement : l’univers est l’Être absolu, qui ne dépend de rien ni de personne pour exister. Il existe et évolue par lui-même, c’est tout, et c’est comme ça. Il n’y a pas de quoi en faire un fromage…
Reste à savoir maintenant si cette conception d'un Univers auto-suffisant est compatible avec ce que nous savons aujourd'hui sur le plan scientifique…
Les sciences positives ont fait au siècle passé des découvertes tout à fait étonnantes qui bouleversent considérablement notre représentation classique de l’Univers (même si le grand public n’en a pas encore, semble-t-il, assimilé toutes les données, ni mesuré véritablement toutes les implications…)
Nous savons ainsi aujourd’hui que l’univers dans lequel nous vivons n’a pas toujours existé ; qu’il a eu un commencement, que l’on désigne communément par l’expression « Big Bang ». Et nous savons aussi que depuis ce Big Bang primordial, l’univers est en expansion ; que les galaxies s’éloignent les unes des autres à des vitesses vertigineuses… (Pour mesurer la portée de ces découvertes, il faut se rappeler qu’il y a un siècle tout juste, nous ignorions encore l’existence de galaxies extérieures à la nôtre…). Ce phénomène d'expansion de l'univers est comparable à la dilatation d’un gaz ou d’une bouffée de fumée, dans laquelle toutes les particules s’éloignent simultanément les unes des autres. En 1928, l’unanimité du mouvement de fuite des galaxies ainsi que leur loi étaient établies.
Notre univers a donc commencé. Et il croît (du verbe « croître » !) ! Il n’est pas éternel et statique comme on l’a longtemps cru, mais tout au contraire fini (dans le temps et dans l’espace) et dynamique (évolutif). Nous savons qu’il a un âge : 13,7 milliards d’années selon les dernières analyses des données recueillies par le satellite WMAP en février 2003 ; que toutes les étoiles et toutes les planètes dans l’univers ont un âge. Depuis 1938, nous savons que l’énergie d’une étoile provient d’une transmutation d’hydrogène en hélium ; et qu’au terme de cette transmutation, lorsque tout l’hydrogène de l’étoile s’est converti en hélium, l’astre s’éteint. C’est le calcul de la proportion d’hydrogène et d’hélium dans une étoile qui nous permet d’en déterminer l’âge précis.
Autre découverte d’importance : nous savons aujourd’hui que plus l’on remonte haut dans l’histoire de l’univers, plus la matière s’amenuise, se simplifie ; que la matière la plus simple, la plus élémentaire, est aussi la plus ancienne. A l’origine du Big Bang, il n’existait ainsi que l’hydrogène et l’hélium. Les noyaux lourds tels que le fer ou le calcium sont apparus progressivement par l’effet de réactions thermonucléaires à l’intérieur des étoiles. Et la matière complexe, parvenue au niveau moléculaire, est apparue encore plus récemment, il y a environ 3 milliards d’années, sur les planètes. C’est uniquement sur les planètes que peut se poursuivre la complexification de la matière en structures moléculaires et macromoléculaires (dans les étoiles, ces structures hautement complexes seraient dissociées et détruites, à cause des températures).
Enfin, nous savons que l’expansion de l’univers ne durera pas éternellement, mais qu'elle achèvera un jour sa course ; que toutes les étoiles existantes ou à venir épuiseront inéluctablement les unes après les autres leur combustible ; que les étoiles existantes ou à venir seront toutes éteintes dans 1014 années ; que les galaxies auront terminé leur évaporation et disparaîtront dans 1020 années ; que tous les protons se seront désintégrés dans 1080 années, et que les trous noirs auront perdu toute leur masse par évaporation dans 10100 années ; que la matière aura ainsi rendue l’âme, et avec elle, l’espace-temps issu du Big Bang… ; que l’aventure de la matière et de la vie sera alors bel et bien terminée.
Comment ne pas être violemment interrogé par cet Univers dont les caractéristiques ne collent en rien avec ce que nous présupposions de son être (l’immuabilité, la stabilité, l’éternité) ? En moins d’un siècle, nous avons assisté à un spectaculaire renversement cosmologique (que certains auteurs qualifient de véritable « révolution », au même titre que la « révolution copernico-galiléenne » ou la « révolution newtonnienne »). Nous ne sommes plus aujourd’hui dans un cosmos tel qu'Aristote le concevait, échappant à la genèse, à la durée, à la dégradation, à la naissance et au vieillissement : en ce début de XXIe siècle, la croyance séculaire en un univers éternel et stationnaire ne se justifie scientifiquement par aucun fait réel concrètement expérimentable. Tout ce que nous savons désormais nous entraîne au contraire vers la conception d'un univers en constant développement depuis sa naissance selon un processus d'évolution unique et irréversible qui s'achèvera un jour dans la désintégration et l'évaporation. L’hypothèse de la réversibilité, évoquée par certains – dernier recours possible pour sauvegarder l’éternité de l’univers – n’est nullement démontrée. La charge de la preuve incombe à ceux qui s’y accrochent désespérément. Car ce que la science nous enseigne aujourd’hui, c’est que toutes les structures physiques dans l’Univers réel s’usent et se dégradent de manière irréversible ; que les étoiles transforment leur stock d’hydrogène en hélium d’une manière irréversible et qu’il n’y a pas de processus inverse ; que l’Univers est un système physique dans lequel toutes les compositions physiques s’usent, vieillissent et se dégradent d’une manière irréversible ; qu’il est de surcroît un système dans lequel la matière se complexifie sans cesse (et de manière accélérée !), puisque de l’hydrogène et l’hélium, seules matières existantes à l’époque du Big Bang, l’univers a évolué en 13 « petits » milliards d’années jusqu’au cerveau de l’homme, avec ses 100 milliards de cellules nerveuses et leurs milliards de milliards d’interconnexions !
Avouons quand même que tout cela a de quoi nous donner le tournis…
Dès lors : comment oser affirmer que l’univers ne pose pas question quand toutes les découvertes scientifiques du XXe siècles plaident en faveur de son « étrangeté » (pour reprendre l’expression de Georges Lemaître), de son inévidence et de son caractère irréductiblement mystérieux…
L’univers a commencé dans un Big Bang : et cela ne poserait aucune question à la raison humaine ? Mais d’où peut donc provenir ce microscopique point de lumière dans lequel toute la masse et l’énergie de l’univers étaient concentrés dans une température inimaginable ? Du néant ? Mais le néant ne peut rien produire ! Il est stérile, par définition. De la matière ? Mais elle n’existait pas, par définition, puisque c’est le Big Bang qui en est à l’origine ! Alors, d’où vient ce phénomène, s’il ne peut s’expliquer ni par un surgissement soudain du néant (qui est stérile), ni par une production spontanée de la matière (qui n’existait pas) ? Et comment oser dire en tout cas après cela que l’univers n’est pas « étonnant, objectivement parlant » ?
L’univers se développe selon un processus de complexité croissante : et cela ne poserait aucune question à la raison humaine ? Mais comment rendre compte de ce processus-là ? La matière pré-existante suffit-elle vraiment à elle seule à expliquer l’apparition d’êtres nouveaux plus riches en information qu’elle-même ? Comment expliquer que du « moins » puisse jaillir sans cesse du « plus » ? Toi Miky qui es tant attaché aux enseignements de l’expérience courante, n’es-tu pas frappé par ce phénomène ? Celui-ci n’interpelle-t-il pas ta raison ? Comment oser dire en tout cas après cela que l’univers n’est pas « étonnant, objectivement parlant » ?
L’univers un jour cessera d’exister et sera totalement désintégré : Bref, notre univers qui a surgi d’on ne sait où ni on ne sait pourquoi, va retourner dans son néant originel. C’est un évènement qui paraît certes lointain à notre échelle humaine et donc un peu irréel, mais qui est absolument inéluctable et programmé. L’espace-temps dans lequel nous vivons et qui est issu du Big Bang va disparaître irrémédiablement. Et cela ne poserait aucune question à la raison humaine ? Mais si l’univers vient du néant et retourne au néant de manière irréversible, comment ne pas s’interroger sur ce qui a bien pu se passer pour que l’univers sorte ainsi du néant, et se mette subitement en mouvement, pour entrer dans un cycle unique et irréversible de « naissance-croissance-mort » (typique de l’être contingent) ? Comment oser dire en tout cas après cela que l’univers n’est pas « étonnant, objectivement parlant » ?
Quant à la structure mathématique de l'Univers dont je n’ai pas parlé ici, ne crois-tu pas qu’elle pose question elle aussi ? L’existence de l’ordre dans l’Univers ne suscite chez toi aucune interrogation ? (et je t’épargne ici la question du « réglage fin » de l’univers qui montre que celui-ci est idéalement adapté – et ceci dans les moindres détails ! – à l’apparition de la vie sur la terre et à l’apparition d’un être fondé sur le carbone capable de penser et de se livrer à la recherche scientifique). Il est en tous les cas une question de Ti’Hamo à laquelle tu n’as jamais répondu (et c’est bien dommage). Je me permets de te la rappeler. Ti’Hamo réagissait à l’une de tes considérations, selon laquelle « il n'est pas légitime de supposer quelque chose de plus que ce que l'expérience nous dévoile. » (manière de dire qu’il n’est pas légitime d’inférer de la simple observation de l’univers l’existence de Dieu puisque celle-ci n’est pas vérifiable par l’expérience). Fort bien, répliquait Ti’Hamo : « Mais dans ce cas, dans notre expérience quotidienne, vérifiable, qu'est-ce qui te permets de supposer (voire d'affirmer) que le hasard pur crée de l'ordre ? Je ne sais pas dans quel univers tu vis, mais ce n'est pas l'expérience courante dans l'univers d'où nous te parlons. »
Nous verrons dans un prochain article pourquoi l’existence de Dieu est la seule réponse authentiquement rationnelle aux questions posées par l’existence de l’univers. Et nous verrons a contrario pourquoi les options alternatives qui nous sont proposées sont en définitive irrationnelles. Nous appliquerons pour ce faire la méthodologie que tu retiens dans ton article, et verrons combien ton raisonnement, purifié de ses présupposés, conduit irréfutablement à la démonstration de l’existence de Dieu (ou comment démontrer l’existence de Dieu à partir d’un album de Kraftwerk perdu en pleine Amazonie…)
(à suivre…)